Circumpolaire

Une actu décalée de la Suède

Reportages

La départementale A 290 qui mène à la centrale nucléaire de Forsmark est flamboyante en cette magnifique journée d’automne. Érables et trembles rivalisent d’effets colorés. Le rouge-ocre est mis. Paradoxe. Nature quasi sauvage – blocs monolithiques épurés. Les centrales, par leur taille et leur design, imposent instinctivement le respect. On sent sourdre la puissance.

Accéder à la centrale n’est pas chose aisée depuis que Greenpeace y a mené un raid intrusif en 2012. Pour assurer autant que faire se peut la sécurité du site, les autorités ont alors fait ériger une série de clôtures et mis en place des procédures renforcées des contrôles.

Bild på Forsmark kärnkraftverk

Forsmark, c’est actuellement trois réacteurs à eau bouillante et un centre de stockage de déchets radioactifs de faible et moyenne activité en subsurface. En prévision, un nouveau centre d’entreposage définitif pour les déchets hautement radioactifs (le principe est retenu mais la décision parlementaire tarde).

À Vatenfall (fournisseur d’énergie) la gestion de la production électrique et à SKB (Svensk Kärnbränslehantering AB), l’organisme suédois de gestion de l’énergie et des déchets nucléaires, le « gardiennage » des déchets.

On accède au site souterrain de stockage des déchets radioactifs par une rampe qu’empruntent quasi quotidiennement des conteneurs d’une centaine de tonnes (du fait de leur blindage) chargés de déchets de faible ou moyenne activité à vie courte provenant de centrales nucléaires, d’hôpitaux, de diverses industries et de labos de recherches. C’est à une cinquantaine de mètres de profondeur, dans la roche, sous la Baltique, que ce complexe s’étend sur quelque 63 000 m2. Des fûts d’acier et des blocs de béton contenant divers déchets sont entreposés dans de vastes cavités. Les parois sont tendues d’une sorte d’immense toile blanche conférant à l’ensemble une atmosphère aseptisée, bizarrement propre, bref, l’impression que le temps s’est positionné en mode pause… attendant quoi ? La fin des 100 000 ans d’entreposage nécessaire à la désintégration radioactive des déchets de haute activité à vie longue ? 100 000 ans ! Quelque 1 250 générations !

Bergsal i SFR. Foto: Sven Tideman.

Les géologues sont affirmatifs, les filons de granit de cette région sont suffisamment stables, homogènes, secs et pratiquement sans failles pour servir d’écran aux radiations.

C’est également sur le site de Forsmark qu’un centre de stockage définitif pour combustibles usés sera aménagé (la Suède a décidé de ne pas retraiter ses combustibles irradiés). Les travaux devraient démarrer d’ici quelques années. Il faudra dix ans pour mener à bien la construction de cette installation de stockage profond en couche géologique. Le complexe (60 km de tunnels et des cavités pouvant accueillir 6 000 conteneurs dans des alvéoles) couvrira 4 km2 à 500 mètres de profondeur dans la roche cristalline. Un cimetière pour nucléides !

Il faut s’arrêter un instant sur ces fameux « tubes » de cuivre de 5 m de long destinés à être confinés pour peu ou prou pour l’éternité… Leur fabrication requiert une haute technologie. Il s’agit de conteneurs en acier noir dans lesquels on place les crayons de combustibles usés. Ces conteneurs sont ensuite insérés dans des surconteneurs à enveloppe externe en cuivre d’une épaisseur de 5 cm. L’ensemble sera placé dans une alvéole creusée à même la roche comblée par de la bentonite. Bon séjour !

Les trois réacteurs à eau bouillante sont ce qu’ils sont, des merveilles de technologie quand tout fonctionne comme il se doit. L’intéressant à Forsmark, ce sont les études collatérales menées par des zoologistes, ichtyologistes et ornithologues sur le comportement environnemental de la flore et de la faune à proximité de la centrale. Pour refroidir les réacteurs, 140 000 litres d’eau à la seconde sont nécessaires pour chaque réacteur. Autant dire que ça pompe énormément et que la Baltique est largement sollicitée. Tandis que 140 000 litres d’eau entrent dans la centrale, 140 000 en sortent… mais nettement plus chaude. L’eau de refroidissement se déverse dans un étang artificiel avant de retrouver la Baltique. En cette matinée d’automne, l’eau de mer était à 10°, celle du déversoir, à plus de 20 ! Résultat : Une foultitude de poissons, de mammifères et d’oiseaux se reproduisent sur ce site artificiel et en fait un lieu de biodiversité d’exception.

Bild på Forsmark kärnkraftverk

 

 

Sur les levées artificielles de l’étang, les argousiers chargés de leurs petites baies orange sont légion.

Des colonies d’oiseaux nichent aux alentours : pygargue à queue blanche (orfraie), sterne, cormoran, grèbe, grèbe huppé, échassier, pingouin torda, harle bièvre, colvert, canard chipeau, souchet, oie cendrée, oie du Canada, héron cendré, plongeon arctique, cygne, cygne tuberculé, tadorne de Belon, sarcelle, fuligule milouin, fuligule morillon, eider, macreuse, garrot, foulque macroule, huîtrier, pluvier, vanneau, chevalier gambette, bécasseau, labbe, mouette rieuse, mouette pygmée, goéland argenté, goéland marin, sterne caspienne, guillemot à miroir, etc…

Les poissons font l’objet d’études très poussées : ablette, éperlan, lavaret, brème, anguille argentée, anguille jaune, vimba, perche, carpe, sandre, hareng de la Baltique, épinoche, gobie à tache noire, sprat, flétan, lotte, gardon, ide mélanote, grémille, etc…

Certains mammifères marins ne se déplaisent pas dans le kilomètre carré du bassin de rétention et notamment le phoque gris.

 

Sweden-57.jpg

Le coquet village de Forsmark (ancienne communauté wallonne, brukssamhälle en suédois) comprend une centaine d’habitants. En réalité, c’est une sorte de musée en plein air. Le village, qui date du 16-17e siècle, a été entièrement rénové à l’identique il y a quelques années (la commune est riche !). Les Wallons avaient apporté leur savoir-faire en matière de fabrication du fer. Ils ont vécu plus ou moins en autarcie pour préserver leur mode vie (des calvinistes chez des luthériens, ce n’était pas nécessairement évident). Le statut de Wallon en Suède reste très vivace et apprécié. Après la transformation du minerai de fer, le village de Forsmark est passé à l’ère de la fission de l’atome… simple étape ?

 

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